Noël, son sapin, ses cadeaux… et ses souvenirs de famille qui occasionnent un pic national de suicides [1].
Petite, je n’aimais pas la mascarade de Noël, prétendue période de paix, où mon père ne faisait pas trêve de ses colères. Au contraire : faute d’oser se suicider sans doute, il consacrait son énergie à gâcher la fête. J’apprenais que le mot « paix » désignait son contraire, que celui de « cadeaux » désignait ces choses incongrues, déplaisantes et encombrantes, dont on se trouve soudain le récipiendaire obligé, et contre lesquelles il fallait exprimer joie et reconnaissance. Pourquoi m’offrait-on une mappemonde dont je ne savais que faire ? des albums photos, vides, où je n’avais rien à coller ? des culottes de coton blanc parce que je venais de « devenir jeune fille » ? et plus grande, un bracelet en argent ciselé inversement inutile et plus cher que le vélo dont je rêvais ? Je ne me souviens pas de mes jouets. Ni d’avoir jamais joué. J’avais trop la trouille.
Comme Poil de carotte au fond de son placard, je me rêvais Sans famille, et j’enviais la Petite fille aux allumettes. Vous savez, celle qui meurt de froid à la fin plutôt que de rentrer chez elle subir les coups du père. Quel soulagement ! Ainsi partie, j’étais programmée pour faire une future suicidée de Noël.
Une bougie de plus dans le sapin.
La seule chose dont j’étais sûre, c’est que tout cela sonnait faux.
Alors, je suis partie. J’ai passé un ou deux Noël seule. C’était sinistre, mais j’étais en phase avec mon sentiment. Je préfère que ça sonne vrai. Si on ne choisit pas sa famille, on peut au moins choisir de ne pas mentir.
Puis j’ai trouvé une famille d’adoption. J’ai pu entamer une rééducation. Volontaire. Apprendre comment ça faisait quand « paix » veut dire paix et « joie » veut dire joie. Et quand « cadeau » veut réellement dire « plaisir d’offrir et joie de recevoir » comme c’est marqué sur les étiquettes dorées des emballages. J’ai toujours peur des cadeaux, mais je me souviens du premier cadeau qui m’a plu : je me suis mise à trembler et pleurer nerveusement, incapable de dire merci, tant ce mot qui avait jusqu’alors été obligé de mentir dans ma bouche, me semblait inadapté, presque insultant.
Une autre famille. J’ai 25 ans et j’apprends à dire merci. Vrai sapin avec vraies aiguilles qui piquent et sentent bon, vert comme un probable retour du printemps. Avec le temps, les mauvais souvenirs s’estompent, et j’aime la fin de l’année, ce creux de l’hiver où l’on a si froid, où l’on se retrouve et s’embrasse pour se tenir chaud. Où les jours sont si courts, où l’on allume tant de lumières, bougies, guirlandes, pour repousser la nuit et inviter le jour à croître de nouveau. Nouvelle année.
J’aime fêter cette fin du temps noir, de la nuit, du froid, de la peur. Et allumer ma bougie. Celle de la petite fille aux allumettes qui ne meurt pas à la fin du conte, est devenue grande et allume une nouvelle année.
La seule chose dont je suis sûre, c’est qu’on peut toujours renaître.
Le père est parti, j’ai pu retrouver ma famille, enfin, ce qu’il en restait. J’y ai découvert d’improbables sourires. On a réinventé notre Noël, on a allumé paix et joie entre nous, symbolisés par des cadeaux enrubannés échangés autour d’un bon repas. Ça miroite, ça rutile et ça rit. J’attends que les enfants naissent bientôt. Un Noël sans rires des enfants reste toujours un peu triste. En attendant, j’ai 30 ans et je suis heureuse.
Ça sent le sapin...
Tout à cette joie des retrouvailles, on n’a pas vu, parmi nous, naître la relève du père. Quelques années plus tard, cette année, Noël approche à nouveau et la personne que je vois courir une hache à la main n’est pas un lutin dans une forêt de sapins courant abattre celui qui égayera la maison, non. C’est ma sœur, si prompte à la colère, écorchée vive hérissée de mots cinglants, qui brandi celle de guerre, pourrissant l’ambiance Noël après Noël. Personne ne bouge, ça enrubanne, ça empaquette. On renoue imperceptiblement avec les vieilles peurs silencieuses. Et on l’attend. L’autre nuit, à Bayonne, elle a menacé un homme, une hache à la main. Une vraie hache. Et un vrai humain...
Perplexité. Je me demande ce qu’il faut faire. D’un côté on me la dit dangereuse, à interner d’urgence en HP. Pour éviter pire. Pire ? De l’autre côté, dans la famille, ça enrubanne, ça empaquette et on me fait taire. On ferme yeux, bouches et oreilles. Et on l’attend. Cette nuit, à Pau, deux infirmières psychiatriques ont été découvertes, l’une décapitée, l’autre égorgée [2]. On n’a pas encore retrouvé l’arme du crime. Serait-ce la hache de ma sœur ?
Dans quelques jours, elle sera sur le quai de la gare, à Montreuil. Je serai loin. Je ne sais plus mentir.
Et je ne suis pas suicidaire. Finalement.
Vos commentaires
1. Le 20 décembre 2004 à 13:19, par ?
En réponse à : > Un coup de hache dans le sapin
Salut Romy,
J’aime bien ton coup de hache. J’espère que tu es bien consciente de ce que tu mets en jeu lorsque tu écris. Peut-être que ta s ?ur devrait utiliser la même hache que toi ? Elle en aurait bien besoin. Mais peut-être qu’elle écrit déjà ? Il ne faut pas renier la violence, il faut la comprendre.
2. Le 20 décembre 2004 à 17:24, par Romy Têtue
En réponse à : > Un coup de hache dans le sapin
Oui, une hache métaphorique, ce serait tout de même moins dangereux que sa hache bien réelle ;)
3. Le 8 avril 2005 à 16:49, par CC
En réponse à : > Un coup de hache dans le sapin
« Il ne faut pas renier la violence, il faut la comprendre » : c’est quand même dingue de lire ça ! Ce sont les motivations que l ?on peut comprendre, mais pas la violence elle-même !
La violence, ça se DÉNONCE (comme le fait ce texte, il me semble) : pour avoir la moindre chance de la faire cesser, on commence par la nommer comme telle (tu as raison : ne surtout pas la nier). Pour que l ?auteur-e soit écarté-e, afin de protéger qui la subit. A plus forte raison lorsqu ?il y a risque mortel. Ensuite, et seulement ensuite, on peut se payer le luxe d ?en comprendre les motivations pour désamorcer, s’il y a lieu, le processus qui amène à la violence. Mais d ?abord, on protège qui la subit, en dénonçant qui la commet. Non mais !
Et puis, il ne faut pas confondre un coup de plume et un coup de hache... ça n’a pas le même impact :-O
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