Cela fait un an que les gilets jaunes manifestent. Chaque samedi. Plus de 52 jours de confrontation avec un maintien de l’ordre qui a marqué les esprits, et les corps, avec 4 000 blessés de part et d’autre [1].
Trop de blessures graves
Depuis le début du mouvement, en novembre 2018, le documentariste indépendant David Dufresne (DavDuf) recense les victimes de violences policières qui ont été filmées. « L’élément déclencheur, ça a été l’effarement devant les mutilations. Devant les blessures, que certains décrivent comme des blessures de guerre » dit-il. « Quand j’en suis au 4e [signalement], je me dis que ça va s’arrêter. » Mais ça ne s’arrête pas. Inlassablement, DavDuf alerte sur son fil twitter, toujours avec la même formule : « Allo @Place_Beauvau - c’est pour un signalement ». C’est le ministère de l’intérieur qu’il interpelle ainsi. Sans réponse.
Récompensé par le prix des Assises du journalisme en mars 2019, le travail documentaire de ce lanceur d’alerte est compilé en dataviz par Médiapart en juin : Allo Place Beauvau — attention, certaines images sont difficiles à regarder. Plus de 850 faits regroupés et contextualisés, dont 315 blessures à la tête, 24 éborgnés, 5 mains arrachées sans oublier les 130 intimidations, insultes et entraves à la liberté de la presse. Un travail de sept mois devenu référence pour l’ONU, le Conseil de l’Europe, le Parlement Européen et la presse française et internationale.
Alarmés par la multiplication des blessures oculaires graves qu’ils doivent soigner, les ophtalmos écrivent au président en mars. « Il n’y a jamais eu autant de mutilés, de gens qui perdent un œil. Perdre un œil, c’est pour la vie. Et ils sont des dizaines » s’effare DavDuf. La revue scientifique britannique [2] The Lancet a étudié 43 cas de blessures oculaires causées par les armes non-létales utilisées par les forces de l’ordre françaises, soit davantage que son décompte qui ne documente que les violences filmées. Les rapports des street medics (secouristes de rue) font aussi état de beaucoup plus de blessés.
Cette répression dépasse le mouvement des gilets jaunes et s’est étendue à d’autres manifestations, s’abattant indistinctement sur des écologistes, des lycéens [3], des secouristes, des pompiers [4], des journalistes [5]… Les nasses se referment sur celleux qui passent par là, passagers du métro, touristes, convives dans les restaurants, riverains qui rentrent chez eux… Les lacrymogènes enfument sans discernement, enfants y compris, et les coups s’abattent même sur les personnes âgées ou handicapées. Plus une semaine ne passe sans que de nouvelles images suspectant des violences policières fassent le tour des réseaux sociaux.
Déni officiel
Difficile à croire pour certains, tant elles sont peu relayées par les médias traditionnels, qui s’indignent davantage du nombre de voitures brûlées, de vitrines brisées et de l’atteinte aux symboles (tant républicains que bourgeois) que des vies mutilées, dressent un portrait caricatural des manifestants, les présentant comme des casseurs ultra-violents qui n’auraient que ce qu’ils méritent, et rassurent sur un maintien de l’ordre qualifié de proportionné et efficace. « Si vous n’êtes pas vigilants, les journaux arriveront à vous faire détester les opprimés et aimer ceux qui les oppriment » disait Malcolm X.

Le ministre de l’intérieur, Castaner, se dit « sidéré » par les accusations de violences policières : « Je n’ai jamais vu un policier ou un gendarme attaquer un manifestant ou attaquer un journaliste » affirme-t-il en dépit des nombreuses images qui montrent le contraire. Le président Macron va jusqu’à réfuter les termes : « Ne parlez pas de “répression” ou de “violences policières”, ces mots sont inacceptables dans un état de droit. » L’IGPN a pourtant été saisie de 313 enquêtes judiciaires pour des violences policières présumées lors des manifestations.
Deux morts
Dans un état de droit, les violences seraient condamnées et les opposants ni les journalistes ne seraient interpellés sans motif. Dans un état de droit il n’y aurait pas déjà deux morts dans le déni et justice serait rendue :
- Zineb Redouane, 80 ans, a été tuée à Marseille le 2 décembre par une grenade lacrymogène tirée au visage alors qu’elle fermait les volets sur la manifestation qui passait sous sa fenêtre.
- Steve Maia Caniço, 24 ans, est mort noyé le 21 juin lors de la fête de la musique à Nantes, tombé à l’eau lors d’une charge policière très controversée.
Dans ces deux cas, les conclusions de l’IGPN dédouanent la police de toute bavure. Dans les deux cas, la version des autorités est contredite par des vidéos. Si bien que la police se décrédibilise aux yeux du grand public, comme en témoigne le hashtag ironique #SelonlIGPN.
Police en roue libre
Ces violences policières sont croissantes depuis la répression de la COP 21, peu après les attentats, dans un état d’urgence dévoyé. Près de 13 000 balles de LBD ont été tirées en seulement 4 mois, soit trois fois plus que pour la seule année 2014. Du jamais vu en France, autrefois exemplaire dans sa pratique du maintien de l’ordre, aujourd’hui en roue libre : « La police a blessé en quelques mois autant de manifestants qu’en vingt ans » constate David Dufresne, également auteur de l’enquête Maintien de l’ordre de 2013. Il dénonce le déni politique et médiatique de ces violences, selon lui profondément antirépublicain.
Amnesty International, les Nations unies, le Défenseur des droits et le Conseil de l’Europe s’inquiètent de cet usage excessif de la force qui entrave le droit pour les personnes de manifester pacifiquement et invitent la France à changer sa méthode de maintien de l’ordre.
Mais, insensible à ce bilan humain dramatique, le gouvernement maintient la ligne dure qui alimente la spirale de la violence. « J’ai peur qu’il y ait des gens tués dans les prochaines opérations de maintien de l’ordre, d’un côté ou de l’autre. […] Tôt ou tard, on va être confronté soit à des policiers à moto coincés dans une rue et lynchés au milieu de la foule, soit à un nouveau Malik Oussekine » confie un CRS.
Vos commentaires
1. Le 15 décembre 2019 à 20:09, par Surfer
En réponse à : Un an de violences policières
Les opposants au projet de retraite du gouvernement ont manifesté le 5 décembre : il n’y a eu ni casse, ni blessé, ni éborgné contrairement aux manifestations de gilets jaunes...
Avant cela, il y a eu les manifestations pour la protection du climat : il n’y a eu ni casse, ni blessé, ni éborgné contrairement aux manifestations de gilets jaunes...
Comment cela se fait-il ?
2. Le 15 décembre 2019 à 20:58, par Romy Têtue
En réponse à : Un an de violences policières
Cette répression vise à décourager par la peur : . Les gilets jaunes sont les premiers visés mais, comme déjà dit plus haut, la violence s’étend sur d’autres manifestations : lycéens, pompiers, militants pour le climat, simples passants… ont aussi été blessés ces derniers mois.
Contrairement à ce que vous pensez et même si c’est toujours trop peu évoqué par les médias traditionnels, ça ne s’arrête pas là. Dans la manifestation du 5 décembre pour nos retraites il y a eu de nombreux blessés, dont une jeune fille atteinte à l’œil et 25 journalistes. Lundi dernier, un passant a perdu 9 dents sous les coups des CRS.
3. Le 11 janvier 2020 à 12:16, par Romy Têtue
En réponse à : Un an de violences policières
L’année 2020 commence par un nouveau décès, celui de Cédric Chouviat, le 5 janvier à Paris, livreur de 42 ans, père de 5 enfants, victime d’une crise cardiaque suite à une asphyxie avec fracture du larynx lors d’un plaquage au sol par plusieurs policiers.
Répondre à cet article
Suivre les commentaires :
| 