Il y a deux ans, j’ai brutalement découvert que de nouveaux comportements émergeaient sur Twitter. Une personne surgie de nulle part m’adressa soudain, non pas un, mais trois messages d’affilée, me donnant la leçon de façon assez intrusive pour ne pas dire agressive. Je supposai qu’elle avait mal pris une de mes publications antérieures ou qu’elle avait simplement fait erreur de destinataire. En tentant de lui répondre gentiment, je constatai qu’elle m’avait « bloquée », fonctionnalité dont je découvris, par là même, l’existence. S’en prendre ouvertement à quelqu’un, basher et bloquer dans le même mouvement… je n’avais encore jamais vu ça sur Twitter, qui était jusqu’alors pour moi un lieu de partage d’informations, parfois râleur, mais globalement courtois et souvent guilleret.
J’aurais du m’en douter : après être passés des newsgroups aux forums de discussions et aux blogs, s’emmerdant sur Facebook, les trolls et trollesses débarquaient sur Twitter. J’assiste depuis à des batailles rangées dans les TL. Y’a épisodiquement des invasions de trolls. Des twittos et twittas qui courent derrière. Ou l’inverse. D’autres qui se prennent pour la cavalerie, arrivant un peu en retard, mais toujours à temps. Enfin quelques chevaliers blancs qui viennent, tout à la fin, ramasser les cookies sous les acclamations de la twitosphère. Aussi massifs qu’éphémères, ces mouvements de troupes m’ennuient. Beaucoup de bruit pour rien.
Deux choses me semblent nouvelles : le fait de s’en prendre à une personne de façon directe, d’une part, à plusieurs et en public, d’autre part. Il y a peu de temps, une twitta m’a soudain ajoutée à son énième tweet envers quelqu’un qui avait tenu des propos racistes, homophobes ou sexistes — je ne sais même plus — m’invitant par là à venir le basher avec elle. Je trouve cela assez malsain. Aussi persuadé·e que l’on soit d’avoir raison et même si la cause est noble, l’agressivité n’est pas une option possible. Et la pratiquer en groupe s’apparente à cette chose abjecte qu’est le lynchage. Elle insista en privé, via DM, m’invitant à remonter la TL du twitto incriminé pour constater combien celui-ci était détestable, ajoutant « c’est pour ça qu’il faut répondre a ce genre de personnes ». Se prendrait-elle pour une justicière ? Si d’autres surenchérirent effectivement, je m’empressai d’unfollower.
Il semble que cela soit une pratique que s’autorisent certain·e·s militant·e·s. Comme pour faire la chasse aux propos discriminants, dans une tentative d’en nettoyer la toile, j’en vois certains lister des tweets, les commenter à part, avant d’interpeller et aller au tweetclash. Pourquoi ?
Il faut bien reconnaître que le troll a quelque chose de revigorant, passionnant le débat. Ces joutes verbales participent d’une certaine expression démocratique. Ce peut être pertinent de s’en prendre à une marque, à une personnalité politique ou publique, pour déplacer les lignes de force, pour se positionner publiquement, pour obtenir une réponse plus efficacement que par les canaux traditionnels.
À condition de savoir s’arrêter à temps : pas d’attaque personnelle, pas d’insulte, pas de violence. Je désapprouve profondément ces pratiques. Je ne crois pas à ce web de cours de récré, avec ses stars, ses courtisan·e·s, ses règlements de compte, ses harcèlements, ses outings, ses insultes, ses lynchages. Croire défendre ainsi une cause, c’est se tromper de combat, ou du moins de moyens.
D’abord, l’agressivité n’est jamais une solution. De plus, c’est contre-performant : non seulement parce que cela ne fait que braquer la personne ciblée, au risque de la radicaliser, mais aussi pour la gêne occasionnée dans les autres TL. Assister à ce genre d’échanges, généralement fort peu constructif, est désagréable. Mais surtout, cela a l’effet pervers de donner trop de visibilité et d’audience à ce que l’on prétend ainsi combattre. Pire, cela peut donner l’occasion à l’autre de se penser comme victime, s’autorisant à l’agressivité, et/ou regonfler son égo de provocateur. Ainsi naissent les pires trolls. Ils se nourrissent de nos indignations et en légitiment leur vindicte.
Enfin il y a plus efficace : publier un argumentaire sur la toile, un billet de blog ou un article, sera toujours plus efficace que la stigmatisation, dans le sens où cela informe, nourrit la réflexion, élève le débat, en plus de constituer une ressource bien plus pérenne qu’un tweet, et bien plus édifiante qu’un tweetclash, qui risque avant tout d’apparaitre comme une querelle de personnes, sans grand intérêt, peut-être spectaculaire mais si vite oubliée. Ce ne sont pas les trolls qu’il faut nourrir, mais nos réflexions.
Il ne faut pas oublier que Twitter est un espace public et non pas communautaire. On n’y est pas chez soi, mais au comptoir de tous les bars du monde. S’y croisent toutes les communautés, de tous bords, y compris les plus détestables. Chacun y est le con d’un autre et il n’y a pas d’autre choix que faire avec. De plus, l’exercice de synthèse, imposé par la limitation à 140 caractères, force à des raccourcis de pensée, parfois involontairement caricaturaux, qui peuvent froisser des susceptibilités. Twitter bruisse donc de brèves ce comptoir, de formules lapidaires, de jugements à l’emporte-pièce, de propos impulsifs… auxquels il est vain de répondre.
Que faire ? Il n’y a qu’une seule réaction valable : le silence. Retweeter les cons ou répondre aux machos, aux racistes, aux homophobes ou aux trolls, leur donne trop d’importance. Bloquez-les si vous voulez, mais en silence. Inutile d’aller insulter l’autre avant. Don’t feed the troll.
Vos commentaires
1. Le 30 décembre 2013 à 13:23, par quote
En réponse à : Twitter’n troll
Lire la suite : Le niveau des gens : pour un retour à l’html !, par Grosse Fatigue, 30/12/2013.
2. Le 31 décembre 2013 à 15:52, par JLuc
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C’est à la mode, cf Piss off :
3. Le 3 janvier 2014 à 19:28, par Romy Têtue
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Le dernier post du blogueur Odieux Connard, aujourd’hui repris par Rue89, est particulièrement bien vu : ce billet illustré explique comment …
4. Le 6 janvier 2014 à 15:05, par JLuc
En réponse à : Twitter’n troll
J’allais le dire : il faut fonder un club des nostalgeeks. Car
dixit grosse fatigue, le même.
5. Le 6 janvier 2014 à 15:31, par Romy Têtue
En réponse à : Twitter’n troll
Je ne suis pas nostalgique — encore moins de la sphère geeke d’avant le septembre éternel, illusoire et trop petite pour moi. Je préfère aller de l’avant.
Cette critique de twitter comme écosystème à trolls n’est pas réactionnaire : il s’agit moins de fuir twitter, en croyant préserver un idéal déjà passé, que d’en tirer les leçons, pour apprendre à mieux s’en servir à l’avenir.
6. Le 23 mai 2018 à 09:07, par Nico
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Je lisais un post, et voila que je tombe sur celui-là. Que dire, si ce n’est que je confirme que j’ai vu (et même parfois à mon endroit si j’ose dire) ce sur quoi tu mets des mots qui sonnent si justes.
Le schéma que j’ai pu constater : tu dis un mot sans méchanceté mais dans lequel tu n’es pas de l’avis d’une personne, tu vois un petit groupe qui s’amuse à « liker » cette réponse… et paf, avalanche de réponses agressives, qui sont d’ailleurs « likées » entre ces personnes, qui doivent se gausser de trophées entre elles, j’imagine.
Que dire, si ce n’est que cela frise le pitoyable, le ridicule, et démontre un manque de maturité effrayant. Et in fine, comme tu le dis, cela provoque ce que ces mêmes personnes combattent : l’entre-soi, la violence, etc.
Et encore, si je pousse la réflexion, se définir et exister par rapport aux autres ainsi… quelle tristesse.
Et quand bien même, si le propos a été mal interprété, un mot aimable qui explique posément… cela donne plus envie d’écouter.
Je remarque d’ailleurs que ces personnes finissent par être isolées dans des bulles plus ou moins grosses, car peu à peu les autres personnes sont fatiguées de ces comportements.
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