Où est l’amour saphique dans ce film ?
On voit, oui, deux femmes s’embrasser, et même davantage, puisqu’on peut à loisir apprécier l’opulence de la poitrine de Laura-Elena Harring, comparativement aux charmants œufs aux plats de Naomi Watts. Cela fournira d’ailleurs matière à commentaires grivois à la sortie de la salle...
Mais de là à dire, comme je viens de l’entendre d’une critique ciné radiophonique, que Mulholland Drive raconte la rencontre amoureuse de deux femmes, comme jamais au cinéma, c’est-à-dire avec naturel, sans façon, presque indifféremment...
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La première scène où Rita la brune et Betty la blonde s’enlacent est toute cousue de fil blanc : on les voit venir de loin lorsqu’elles se couchent toutes les deux dans le même lit ! Cela n’est pas sans rappeler la rapidité avec laquelle l’acte survient dans les films érotiques : un scénario vite bâclé, l’important c’est la baise.
Il n’y a ni préambule, ni séduction, ni tendresse, sensualité, complicité... Ni désir. Car Rita et Betty ne couchent ensemble que parce que le hasard les a réuni dans le même huis-clos qu’est l’appartement dans lequel elle ont trouvé refuge : la première, suite à un accident mystérieux qui l’a rendue amnésique, la seconde, un peu paumée, fraîchement débarquée de sa campagne natale pour faire carrière à Hollywood. Elles ont en commun d’être seules et sans repère.
Si l’acte semble prémédité et la scène mal jouée, c’est effectivement parce que l’essentiel à ce moment-là n’est pas de ressentir, mais de comprendre qu’elles ont couché ensemble : ça y est, c’est dit, c’est fait, passons à autre chose. C’est aussi parce qu’il s’agit de fantasmes bruts. Ceux de Rita, dont on comprendra par la suite qu’elle n’a fait que rêver cette scène. La réalité est plus complexe. Plus floue et plus sensuelle aussi.
La suite de film nous révèle le pot aux roses : les dessous d’Hollywood, ses histoires de cul, ses rivalités de pouvoir.
David Lynch s’attarde davantage à décrire la relation entretenue par la blonde et la brune, qui s’appellent alors Diane Selwyn et Camilla Rhodes, deux actrices ayant ambitionné le même premier rôle dans le film tourné par le réalisateur Adam Kesher.
On découvre une blonde Diane folle d’amour et surtout éperdue de désir pour une ténébreuse Camilla qui la mène par le fond de la culotte. On y voit la brune Camilla, sublime, fatale, se faire cruelle avec son amante.
On assiste à quelques scènes torrides entre les deux partenaires, où Camilla, l’air toujours très sûre d’elle-même, domine la situation. On voit aussi Diane, qui, privée de Camilla et donc de sexe, souffre d’être en manque : Diane est sex-addict de Camilla. C’est bien plutôt de dépendance sexuelle que d’amour saphique dont il est ici question. Ce qui n’est pas sans rappeler « The Ballad of Sexual Dependancy » de Nan Goldin : série de photos qui retrace notamment l’histoire orageuse entre Nan et Brian, homme qu’elle ne se décidera à quitter qu’après avoir été battue par lui.
Ça se termine mal aussi pour nos deux actrices puisque Diane en arrive à commanditer le meurtre de Camilla avant de se suicider.
Tout se passe comme si, dans une lutte pour le premier rôle, Camilla avait agit dans le seul but d’évincer sa rivale : elle l’a rendue incapable de nuire en la mettant hors service, en l’atteignant précisement à son point faible : le sexe et la dépendance affective. Et effectivement, Diane s’efface pour laisser Camilla prendre le premier rôle, tant dans le film dans lequel elles jouent que dans sa propre vie.
Si Camilla délaisse ensuite Diane, c’est pour mieux tourner autour du réalisateur, un petit gars à lunettes étonnement amorphe, imperturbable, à l’air toujours ravi, presque un peu benêt. Celui-ci assiste, sans ciller, au petit manège de ses deux actrices, au jeu pervers qu’impose Camilla à Diane. Les rivalités féminines ne l’intéressent pas. Il considère cela d’un air vaguement amusé ou avec une parfaite indifférence. Peu lui importe puisque Camilla lui échoit, à la scène comme à la ville. De toute façon, l’homme de la situation, c’est lui : le réalisateur. L’homme tout puissant, le premier et le seul, si justement prénommé Adam.
Finalement on ne sort pas du cliché masculin sur les lesbiennes, où il est impossible de concevoir l’amour entre femmes sans nécessairement en référer à une présence masculine, passablement voyeuriste.
Il y a un malentendu sur Mulholland Drive : ce n’est pas un film narrant la rencontre amoureuse de deux femmes ni l’amour saphique. Diane Selwyn et Camilla Rhodes ne sont pas lesbiennes : elles sont actrices à Hollywood. Et donc rivales.
On se croit dans une enquête policière pimentée de lesbienanisme, mais le film est plutôt une histoire (d’amour ?) fusionnel destructrice, une réflexion sur le jeu et les faux semblants, les apparences et les échanges de rôle : une véritable mise en abîme du cinéma Hollywoodien.
Vos commentaires
1. Le 27 avril 2017 à 11:00, par Cindy T
En réponse à : Mulholland Drive : Sont-elles vraiment lesbiennes ?
J’aime beaucoup ton analyse et je te rejoint totalement dans l’interprétation que tu fais de cette question ! Mais quoi qu’il arrive, la scène est bien hot, et ça m’étonnera toujours qu’on ai pu laisser passer ce film en -16 à l’époque.
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