Maquillage interdit pour cause d’hétérocentrisme

30 juin 2007,
par Romy Têtue

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Il est des moments hautement appréciables dans la vie, comme celui de croiser la Marche des fiertés et sa musique qui vous fait tressauter d’allégresse. Place de la Bastille, le son était tellement bon qu’il faisait vibrer le sol, profondément, jusque dans les couloirs souterrains du métro.

Je me suis collée à une baffle pour mieux décoller…

Des jeunes dansent en bande, extatiques. Deux filles joliment piercées fendent la foule en se tenant par la main. Un couple danse en s’enlaçant sensuellement avant d’éclater d’un rire complice et contagieux. De beaux jeunes hommes se sont mis du rouge à lèvres et s’amusent à se coller des smacks sur les joues, au risque du dérapage. Une drag-queen gothique passe et décoche un clin d’œil fondant au bambin perché dans les bras de son père…

C’est en croisant ces visages maquillés et radieux que je me suis souvenue d’un autre monde où le maquillage est avant tout affaire sérieuse, c’est-à-dire de sexe, même jour de fête.

J’assistais, la semaine dernière, à une fête de fin d’année des écoles, une kermesse pour les enfants : pêche aux canards flottants, tir de palet, bowling, maquillage et déguisements… waouh ! c’est la fête ! Le genre d’événement gentil qui donne l’envie aux parisiennes d’enfanter et aux parisiens de s’installer en campagne retrouver un peu d’« authenticité ». Pourtant, depuis que je suis petite, c’est toujours la même variété pop américaine qui braille dans les enceintes des fêtes de province, de la musique de supermarché à deux balles. « Authenticité » dites-vous ? Excusez-moi de préférer la musique autrement plus variée de Radio Nova et les audaces musicales de FG DJ Radio.

Avisant un minois joliment grimé en papillon, je me dis que les deux jeunes zouaves que j’accompagne apprécieraient d’être transformés en tigre ou en léopard, grrraouh ! Ce sont des garçons, me fait-on alors remarquer. Par conséquent il ne peuvent aimer cette « activité de fille ». Perplexe, je me rends sur le stand maquillage : effectivement, il est assailli par une telle flopée de fillettes, entièrement vêtues de rose et mauve, poussées par des mères hystériques, que je ne parviens pas à savoir si la maquilleuse réalise aussi des faces félines. Je renonce, préférant finalement épargner cette cohue aux enfants. Moi-même je n’ai que l’envie de fuir.

Pendant que, classe après classe, les enfants défilent sur le podium pour effectuer leur spectacle de fin d’année, leurs parents attendent sagement sur la pelouse en bavassant. Certaines mères se tordent les chevilles, du haut de leurs talons aiguilles, dans les mottes d’herbe. C’est une manie que je n’ai jamais comprise, à la campagne, de toujours vouloir se chausser comme en ville, y compris sur ces terrains impraticables.

Ma voisine engage la conversation. La première chose qu’elle dit c’est qu’une boîte vient d’ouvrir pas loin, « une boîte pour homosexuels » précise-t-elle, « tu te rends compte !? ». Je ne connais pas cette femme et me demande bien comment je dois interpréter cette entrée en matière. Je lui réponds platement que c’est une bonne chose que les homosexuels de la région aient un lieu où se retrouver, tant la vie est difficile pour elles et eux en province. « Ah bon !? » s’étonne-t-elle, à la fois curieuse d’en apprendre davantage et intriguée que j’en sache quelque chose, comme si c’était sulfureux. Je repense alors à l’info entendue le matin même à la radio : le suicide touche plus fortement les jeunes homosexuels [1], ce qui révèle leur mal-être, dû au rejet de leur différence [2]. Je doute que mon interlocutrice soit foncièrement homophobe mais, par son ignorance d’autrui, elle participe de l’homophobie ambiante, de cette si douce et discrète xénophobie qui en conduit certains et certaines au suicide.

Car elle est, comme tant d’autres personnes, sincèrement aveugle à tout ce qui diffère de son mode de vie : comme dans les contes de fées de son enfance, « Mademoiselle » s’est mariée, en robe blanche et à l’église bien sûr, pour devenir « Madame » et pondre marmaille.
Pourquoi aurait-elle souhaité une autre destinée ? Ici, toutes sont persuadées qu’il n’y a pas mieux. Et si par hasard il existait autre chose, fermons les yeux, car ce que peut être que déviance.
Elles vivent dans un autre monde, si hétéronormé qu’il nie la différence. Un monde garant de la reproduction de l’espèce. On y fait des marmots que l’on cloisonne dès le plus jeune âge selon leur sexe, apprenant aux unes les tâches dites féminines et aux autres les activités soi-disant viriles, les dressant comme des chiens de Pavlov. Ici, comme dans les kermesses de mon enfance, les cadeaux ne sont pas les mêmes pour les filles et pour les garçons, et personne ne s’offusque de cette discrimination. Devinez qui a droit aux nourrissons en plastique et aux fers à repasser miniatures ? aux sabres et aux pistolets ? Mais expliquez-moi pourquoi les crayons de couleurs étaient, et sont encore, réservés aux garçons ? Pourquoi interdire aux filles de dessiner ? Parce qu’elles ont déjà droit à un nécessaire à maquillage ?

Elle continue de m’entretenir de sujets en rapport avec la sexualité, comme d’autres parlent de la pluie et du beau temps. Je ne suis pas d’ici et, tout en hochant bêtement la tête pour donner le change, je m’interroge sur cette curieuse façon d’accueillir l’étranger·e.
D’une façon générale, j’ai toujours trouvé que les gens avaient un problème avec le sexe : ils en parlent tellement que c’est louche. C’est encore plus flagrant en province où il m’a toujours semblé que c’était le sujet de conversation principal, la préoccupation centrale, tant par conditionnement que par désœuvrement de l’esprit. Et c’est aussi pour éviter l’ennui de ces conversations aussi ahurissantes qu’affligeantes que j’ai jadis quitté ma province natale. Mais pas seulement.

Je n’ai jamais eu ma place dans ce monde où les filles jouent à la poupée en rêvant de se reproduire, et les garçons à la guerre en rêvant de tout détruire. Cet hétérocentrisme maladif est si répugnant que je me demande soudain, si je n’aurais pas mieux fait de préférer les filles.

Alors, je me suis collée à une baffle pour mieux décoller…

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Vos commentaires

  • Le 2 juillet 2007 à 09:22, par Pierre En réponse à : Maquillage interdit pour cause d’hétérosexualité

    Très joli article, très dure réalité.

    Penses-tu que ce genre de détails (cadeaux offerts aux enfants) conditionne leur homophobie par la suite ?

    En fait, en lisant ton article, je me dis que mon état d’esprit actuel quant à l’homosexualité est peut-être intimement lié au fait que j’avais une poupée quand j’étais petit. Une poupée, et un gros camion aussi, faut pas déconner hein, j’ai du poil au torse, oh ! ;)

    Sinon, tes oreilles vont bien ? C’est dangereux de se coller aux baffles !

  • Le 2 juillet 2007 à 12:42, par Albert Lobo En réponse à : Maquillage interdit pour cause d’hétérosexualité

    Personnellement, j’adhère en grande parti

  • Le 3 juillet 2007 à 14:52, par opfa En réponse à : Maquillage interdit pour cause d’hétérosexualité

    A visiter : www.lab-elle.org, une association qui lutte contre les stéréotypes de genre dans la littérature enfantine

  • Le 11 juillet 2007 à 00:19, par Perline En réponse à : Maquillage interdit pour cause d’hétérosexualité

    Au moins cela m’a donné envie de faire le billet que je devais écrire depuis longtemps, Garçon manqué ? Non, fille réussie !, ayant un problème symétrique du tien !

  • Le 8 août 2007 à 20:50, par Laurent En réponse à : Maquillage interdit pour cause d’hétérosexualité

    Je ne pense vraiment pas qu’il faille s’inquiéter lorsqu’un petit garçon joue à la poupée ou qu’une petite fille préfère les jeux de garçons.
    Au contraire, c’est plutôt bon signe qu’ils essaient de construire leur personnalité en sortant des sentiers battus.
    Ils seront sans doute plus ouvert d’esprit que ceux qui restent avec leurs certitudes, du genre « Le bleu, c’est pour les garçons, le rose pour les filles » ou « La poupée, c’est un jouet de fille. »
    Personnellement, quand j’étais petit, il m’arrivait de jouer avec des poupées Big Jim ou Barbie, mais c’était surtout pour voir Barbie toute nue.
    Et je ne suis pas pédé pour autant. Au contraire.

    PS : Un truc que je ne ferais jamais : acheter des jouets guerriers à mes enfants ! Pas de ça chez moi !

  • Le 19 août 2007 à 14:39, par RastaPopoulos En réponse à : Maquillage interdit pour cause d’hétérosexualité

    A l’hétérocentrisme répond ici un centralisme qui échappe de chaque paragraphe.

    Paris.
    La province.
    Jacobinisme.

    A chacun sa capitale...

  • Le 11 septembre 2007 à 23:06, par manue En réponse à : Maquillage interdit pour cause d’hétérosexualité

    je te rejoins sur cet article, sauf pour « la province » ...
    « connaît pas la province, ici on est à Tou-lou-se » pour reprendre approximativement les paroles des Fabulous Troubadours. Bref, à chacun sa capitale hein RastaPopoulos !

    si mon fils ET ma fille (5 et 3 ans) ont choisi tous deux un maquillage Spiderman à la kermesse de l’école en juin dernier, il est vrai que le meilleur copain de mon fils a dit à sa mère qu’il ne pouvait pas dire à ses copains qu’il aime le rose ... je suis heureuse que mes deux enfants se disputent le seul bol rose au petit déj !

    Et pour ce qui est des jouets dans les magasins, ça va au-delà de l’homophobie ambiente : c’est un formatage de nos esprits, un façon de nous orienter et surtout nos enfants vers ce qui est notre rôle inscrit depuis des siècles : du sexisme quoi ! et tellement peu de gens s’en rendent compte malheureusement ...

  • Le 15 juillet 2008 à 23:52, par Tex En réponse à : Maquillage interdit pour cause d’hétérosexualité

    Toutes ces normes sont empiriques, nées de l’histoire et comme nous de nulle part ou tout au plus d’on ne sait pas où. Il y a un manque de modestie général à affirmer ces normes.

    En regardant ailleurs on pourrait voir qu’il y a des pays où les hommes portent robes ! Mais la xénophobie prend le relais et puis de toute façon, ces cons là, ils distinguent robes pour homme et robes pour femmes et vas pas te tromper, tu serais la risée.

    Cela va être long pour changer tout ça, le formatage a pris profond. Jusqu’à ce que parmi les différentes façons d’être homosexuel, il y a des hommes pour rêver de se marier en blanc avec un prince charmant ou, plus simplement, de se formater en fille.

    La norme n’est pas le problème. Le problème c’est la fermeté du formatage à cette norme et notre incapacité à accepter deux choses :

    1) le corps ne formate pas l’esprit ou alors d’une manière que l’on doit modestement admettre ne finalement pas connaitre.

    2) les normes sexuelles ne sont qu’un vague repère tout déformé par le temps et le nombre de gens qui l’ont tripoté, et, dont on a le complet droit de se foutre pour suivre son inspiration perso à soi qu’on a.

    L’humain marche depuis 2 million d’année, il ne devrait plus tarder à parler.

  • Le 11 avril 2010 à 12:27, par Miss Mopi En réponse à : Maquillage interdit pour cause d’hétérosexualité

    Romy, le lien sur « Education ou conditionnement sexiste » ne renvoie plus vers la page en question mais vers une page de recherche qui considère que le porno est un sujet assimilable à ce titre... Ahem.

  • Le 30 avril 2011 à 23:27, par Em En réponse à : Maquillage interdit pour cause d’hétérosexualité

    Et dans le cas où cette norme conduit à l’impossibilité de se définir comme appartenant à un genre ou à l’autre ? Je m’explique : nous partons du principe que la société, la norme, nous oblige à placer dans une catégorie différentes activités ou symboles (dinette et rose pour les filles, bleu et camions pour les garçons). Mais rien que le fait de ne proposer que ces deux catégories, bien distinctes l’une de l’autre, et complètement antinomiques, oblige l’individu à se définir dans une de ces catégories, et une seule. Et c’est là que s’ajoute ensuite le problème de savoir si telle ou telle chose qu’il fait entre bien dans la catégorie à laquelle il appartient. Le problème est en amont, à savoir que le transexuel et l’asexué ne sont pas reconnu. Et je parle bien sûr de genre, pas de la sexualité au sens populaire. Nous n’avons comme choix de genre que féminin ou masculin. Et moi, qui ait vu le jour dans un corps de fille, qui ait grandi dans la peau d’un garçon, et qui me sens aujourd’hui, maintenant l’adolescence passée, autant garçon que fille, et à la fois ni l’un ni l’autre, comment puis-je me construire une vie et m’inclure dans cette société, puisque je ne peux y être reconnu(e) pour ce que je suis...

  • Le 23 mai 2011 à 15:10, par line En réponse à : Maquillage interdit pour cause d’hétérosexualité

    C’est vraiment très triste en arriver là...

  • Le 24 janvier 2012 à 16:22, par alain En réponse à : Maquillage interdit pour cause d’hétérosexualité

    on se croirais dans les années 50 avec ces mentalités là

  • Le 24 mars 2013 à 18:41, par quote En réponse à : Maquillage interdit pour cause d’hétérosexualité

    Ce n’est pas parce qu’ils sont gay que les adolescents se suicident mais c’est à cause de l’homophobie qu’ils subissent, provoquant un mal être et une détestation de soi-même. Il faut savoir qu’à un moment ou un autre de leur vie, tous les jeunes gay subissent des agressions physiques ou verbales.
    — Les homophobes ont du sang sur les mains : l’homophobie entraîne des suicides chez les jeunes gay, par Jacky Majda, 24/03/2013

  • Le 20 mai 2017 à 12:09, par cindy turbi En réponse à : Maquillage interdit pour cause d’hétérocentrisme

    C’est malheureux d’en arriver là et je pense que malheureusement ça ne va pas aller en s’arrangeant ! Et une chance encore que Fillon ne soit pas passé sinon là on aurait encore plus reculé !!!

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