La violente victoire de l’EuroCoupe 2000

Coupe d’Europe de football, 2 juillet 2000

2 juillet 2005,
par Romy Têtue

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Le « bug de l’an 2000 » n’a pas eu lieu, mais j’en décelais un autre, cette année-là, celui des silences médiatiques.

Le Championnat d’Europe de football de 2000 vit les Bleus, déjà champions du monde, vaincre l’Italie d’un but inespéré [*]. Une clameur s’était élevée de la rue, brisant le silence jusqu’alors imperceptiblement pesant des postes TV qui grésillaient. Dans l’enthousiasme, je m’étais précipitée, comme des milliers d’autres personnes, sur les Champs Élysées, afin de goûter un peu à l’euphorie générale. J’avais encore dans la tête les images télévisuelles de la foule en liesse qui avait envahi les Champs en 1998, après la victoire en Coupe du Monde, et je voulais, moi aussi, ma dose de bonheur grégaire, de liesse populaire.

C’est à peine si j’ose parler de ce que j’y ai vu et vécu, tant cela a été rendu inaudible par le silence médiatique qui s’ensuivit.

À cette époque je ne me souciais guère ni de la presse ni du journal télévisé. Inutile de perdre ce temps puisque je n’échappais pas, de toute façon, aux discussions des collègues qui, commentant l’actualité, me tenait au courant malgré moi et à peu de frais. Ainsi, le lundi suivant, je ne doutais pas un instant que tous ne parleraient que de ça. Cependant, étonnée de leur enthousiasme persistant et encore choquée de ma soirée sur les Champs, j’entrais, une fois n’est pas coutume, dans la discussion… pour m’en trouver vite éjectée par des « mais tu délires complètement ! » et autres « si c’était vrai, on en aurait entendu parler aux infos ! » Les laissant tout à leur plaisir de commenter la victoire en long en large et en travers, rejouant le merveilleux but final avec une boule de papier froissé lancée à travers les bureaux de l’open space, je me précipitais au kiosque à journaux, et le soir venu devant la télévision, puis sur Internet. Rien. Effectivement rien.

Nulle part il n’était question des blessés ensanglantés que j’avais vus, tombés au sol, des secouristes de la croix-rouge qui couraient courbés, pour éviter les projectiles qui pleuvaient de toute part, des CRS qui bloquaient toutes les rues adjacentes, et de la foule ainsi coincée sur « la plus belle avenue du monde », de ses mouvements de panique qui vous transportent malgré vous, vous décollant les pieds du sol, des casseurs cagoulés qui défonçaient les vitrines les unes après les autres, méthodiquement, des gamins encore imberbes, qui jetaient par poignées, des écrins estampillés Hermès, Cartier ou Vuitton dans les bouches d’égout, tout en fourguant hâtivement leur contenu dans leurs poches de survêtement, avant de se disperser comme une volée de d’oisillons, des charges des CRS casqués et caparaçonnés, aussi brusques que vaines…

Partout où mon regard se posait, ce n’étaient que vitrines explosées, projectiles, panique houleuse et courses-poursuites. Feux tricolores, panneaux, pancartes : plus aucun n’était vertical, tous tordus ou couchés à terre après avoir servi de bélier pour éventrer les vitrines.

Et j’étais coincée là, au milieu de tout ce bazar, ce saccage méthodique, avec des milliers d’autres badauds qui couraient en tout sens, tous plus paniqués les uns que les les autres.

Nulle part dans les médias il n’était question de cela. Au contraire, tous se réjouissaient de cette victoire footballistique et montraient des images de supporters en liesse et parfaitement inoffensifs. À croire que j’avais rêvé. J’ai eu besoin d’appeler les personnes qui m’accompagnaient ce soir-là pour en avoir le cœur net et fixer les événements dans ma mémoire. Elles étaient encore sous le choc. Moi aussi. Pour rationaliser, je cherchais désespérément l’info : des blessés, j’en ai vu, mais combien y en a-t-il eu ? des dégâts, certes, mais combien ? des casseurs, pas tant que ça, mais si mobiles… combien d’arrestations ?

Il a fallu attendre quelques jours, que l’enthousiasme de la victoire ait suffisamment renforcé la « cohésion nationale » en cette veille de 14 juillet, que l’intérêt footeux retombe, et que plus rien ne puisse atteindre le moral ainsi regonflé à bloc de mes concitoyens, pour entendre enfin une brève allusion qui minimisait drôlement les faits : Partout les supporters ont fêté la victoire dans une ambiance bon enfant, troublée toutefois, dans deux ou trois villes, par des casseurs infiltrés dans la foule. Je ne suis même plus certaine que Paris fut mentionné. Cette formulation reflétait peu l’ampleur des dégâts, tant matériels qu’humains.

Ceci dit, effectuant là une revue de presse sans méthode, j’ose encore croire, candide, avoir raté quelque exhaustif compte-rendu. Mais de la liesse populaire footballistique, de son traitement médiatique enjolivé, désormais, je ne suis plus dupe. Et on ne m’y reprendra plus à sortir un soir de match.

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