Woôh putâingue !

4 septembre 2007,
par Romy Têtue

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Pourquoi traites-tu la pute et pas son viandard ?

J’ai un souci avec les gros mots : ils m’écorchent les oreilles. Il en est un en particulier, qui s’est répandu dernièrement, au point d’être entré dans le langage courant de quantité de personnes, et qu’on ne prête guerre plus attention à son énonciation. Il s’agit de « Putain ! ». C’est devenu un peu comme « Merde ! ». Tout le monde l’emploie, et ça ne choque plus [1]. Il paraît même qu’il fait partie de la fonction phatique du langage (révisez votre schéma de Jakobson) : ponctuer ses phrases de gros mots, ce serait une façon de s’assurer de l’attention de l’auditeur. Comme une formule de politesse, quoi !

Il y a cependant une différence entre ces deux mots. L’un désigne une chose, l’autre une personne humaine.

Merde, caca, bouse, crotte, après tout, c’est rigolo. Et l’on peut comprendre sa transformation en juron de bien des façons : ah oui zut alors, ça ne doit pas être agréable de s’être fichu dans le caca, ça vaut bien un juron illustré. Rappelons-nous au passage l’étymologie cousine de cet autre insulte, « enfoiré », qui signifie littéralement — comme « enfariné » signifie « couvert de farine » — « couvert de foire » c’est-à-dire de merde, et plus précisément de diarrhée. J’imagine aisément la saynète : Richard se sent à l’aise et pète un coup. Ce faisant, il se barbouille malgré lui de fèces qui n’attendait qu’un relâchement des sphincters pour s’échapper, la belle aubaine. Autour de lui, de gène, tout le monde s’esclaffe et se roule par terre. C’est du comique de cours d’école, mais c’est aussi vieille tradition que de rire du caca. Imaginons maintenant que ce soit à vous que ça arrive. Vous seriez fichtrement déconfit·e d’être ainsi enfoiré·e, c’est-à-dire drôlement emmerdé·e, et je gage que, saisi·e par la surprise, vous auriez du mal à réprimer un « Meeeeerde ! » sincère qui vient du fond des tripes, tout à fait légitime et fort à propos. D’ailleurs… j’ai un doute soudain sur l’origine de ce mot que l’on dit gros depuis Cambronne : hmmm, quelles sont les circonstances qui ont amené le général à le prononcer ?

Avec « putain », c’est une toute autre histoire qui se profile à l’horizon et qui relève moins de blagues de potaches que d’un humour adulte plus que douteux. Car nous voici dans l’abjecte famille des termes devenus injurieux parce désignant des soi-disant rebut de l’humanité, des mots comme « juif », « négro » ou « enculé », dont le plaisir d’énonciation passe nécessairement par un certain mépris de l’autre. Autrement dit : Dis-moi comment tu injuries, je te dirai qui tu es/hais [2].

Par quoi remplacer « putain » ?

Or, l’humain vraiment haïssable qui mériterait de servir d’insulte, la grosse merde répugnante qui ferait un beau juron, ce n’est certainement pas la pauvre fille de l’Est qu’on a jetée sur les trottoirs de l’Europe libérale, mais plutôt le sale type qui l’y a traînée et surtout, surtout, tous ces types qui sont prêt à payer pour « ça ». Alors ne vous trompez plus : ne dites pas « putain », mais « client de putain ». Ou plus court : « putanier ». Ou mieux : « viandard » [3].

Je vous l’accorde, quand on en a pris l’habitude, ça ne sort pas spontanément. Essayez au moins de remplacer les « putes » et autres « putains » qui vous servent de ponctuation par des « purée » et « punaise » qui, pour commencer par la même syllabe, sont faciles à substituer, et vous éviteront d’écorcher les oreilles alentour en traitant malgré vous de pauvres filles.

Enfin, dernier argument s’il en est encore besoin, l’emploi de ce gros mot ne fait que trahir une pauvreté d’imagination, tant celui-ci s’entend à tous les coins de rue. Par pitié, variez un peu votre vocabulaire, faites l’acquisition d’un dictionnaire de gros mots et gratifiez-nous de bien croustillants mots, bien gros et grassouillets. Allez, chiche, si on s’entraînait ?

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Vos commentaires

  • Le 5 septembre 2007 à 20:50, par Perline En réponse à : Woôh putâingue !

    Essayez donc « Saperlipopette ! » et vous verrez que vos interlocuteurs vous prêteront sacrément plus attention encore...

  • Le 9 septembre 2007 à 21:55, par Mag En réponse à : Woôh putâingue !

    Le dernier paragraphe me fait tout à fait penser à ce que je dis parfois à mes élèves, qui sont facilement injurieux, hors classe et en classe aussi hélas, les uns envers les autres (je suis encore épargnée, ouf !). Un exemple de substitution à « P* il me fait chier ce con » pourrait être « cet imbécile, madame, m’échauffe les oreilles plus que de raison et je n’ai d’autre choix que de lui rendre la pareille ». Mais ils trouvent ça trop long ;)

  • Le 10 septembre 2007 à 11:02, par Pierre En réponse à : Woôh putâingue !

    Un dictionnaire de gros mots ? Ça m’intéresse ! As-tu des références ?

    J’ai tendance à être très grossier, et assez peu original, et pour moi, le sens premier du mot putain est tombé depuis longtemps en désuétude, puisque putain est aujourd’hui utilisé comme adjectif, à l’image de fucking en anglais (oui, je sais que fuck peut être accommodé à toutes les sauces).

    Feu mon papa utilisait une expression pour faire grincer des dents ma grand’mère : pute vierge. Je dois admettre que je trouvais l’association d’idée assez rigolote, mais je dois avouer que je ne l’utiliserai pas tous les jours... c’est trop difficile à prononcer !

    Merci en tout cas pour cet article qui a le mérite de replacer cette injure dans son véritable contexte.

  • Le 20 septembre 2007 à 00:10, par Laurence En réponse à : Woôh putâingue !

    J’ai dû mal aussi avec les gros mots. Généralement, quand je ne suis pas contente, on entend un « scrogneugneu de scrogneugneu »... C’est pour cette raison que j’avais lancé ce petit concours de l’injure sans gros mot. C’était très drôle !
    Merci de me citer ! Chouette article ! :-)
    Bizzzzzz

  • Le 12 octobre 2007 à 13:41, par Stéphane Deschamps En réponse à : Woôh putâingue !

    Tu le sais bien, chez nous les gros mots n’ont plus le droit de cité maintenant que les chastes oreilles parlent (si je puis dire).

    En particulier un jour mon adorable petite fille jouait toute seule bien sagement et maugréait sous sa barbe comme elle l’avait observé chez papa et maman (car les enfants sont d’excelllllents imitateurs de nos travers) : « putainputainputain ».

    Ça nous a définitivement vaccinés.

    On a mis quelques semaines à ne plus dire un seul gros mot, et au final on y arrive. C’est avec ce recul-là que maintenant nous sommes étonnés de voir les gens autour de nous et la quantité de gros mots que les gens emploient sans s’en rendre compte.

    Perline a raison. Je dis « cornegidouille » avec bonheur. :)

    PS : je ne savais pas que Richard était génoise ? :)

  • Le 15 décembre 2009 à 12:43, par remy En réponse à : Woôh putâingue !

    ok … pardon … j’avoue utiliser ce mot 36 fois pas jours … plus par « réflexe », par énervement, souvent grommelé entre ma barbe que pour « m’assurer de l’attention de l’auditeur » … 
    Après la lecture de ton article, je vais « essayer » de me corriger.
    Question : si "purée et « punaise » sont convenables … est-ce -que la contraction ’tain est acceptable ? (non ? … trop facile ?) … bon … m’en vais potasser les dico pour trouver un remplaçant alors … 

  • Le 22 décembre 2009 à 13:01, par Veronik En réponse à : Woôh putâingue !

    Chez nous, quand les enfants « ont commencé » on leur a expliqué le sens du mot qu’ils disaient. Ex avec « con » : "tu traites ton frère de « zizi de filles » ! ?". Ça calme un peu ! Pareil pour le « putain ».
    Nous avons aussi des personnes plus agées qui ont une ritournelle d’expressions savoureuses pour remplacer nos mots gros et pas beaux . Il suffit de les écouter encore un peu.
    Ma belle mère a un « purée de nus autres ! » tonitruant pour remplacer notre sale bon vieux « putain ».

  • Le 3 mars 2010 à 11:11, par Loirette En réponse à : Woôh putâingue !

    Je voulais simplement vous indiquer que les articles en question sur le langage("mots mal famés") se trouvent actuellement sur le site de l’encyclopédie Larousse en ligne, depuis la dispartion de cose calcre. Pouvez-vous indiquer dans votre article cette nouveauté ?
    Merci d’avance
    Très cordialement
    Michel Loirette

  • Le 8 septembre 2011 à 01:48, par martin En réponse à : Woôh putâingue !

    Envoyé ici par Edgard à la suite d’un juron intempestif, j’en profite pour signaler que les liens suivant sont morts :
    http://prostitutions.info/Putanier-ca-pue

    cordialement,

    m.

  • Le 23 septembre 2016 à 11:22, par Romy Têtue En réponse à : Woôh putâingue !

    Et dans les autres langues ? Comment insulter des inconnus dans différentes langues européennes, par Vice, février 2016.

  • Le 6 mai 2022 à 19:30, par Romy Têtue En réponse à : Woôh putâingue !

    J’ajoute aux substitutifs possibles « Patin de Bretzel de Merle », inspiré de la série The Good Place, où les gros mots n’existent plus :)

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