S’il vous plaît, cessez d’utiliser le point final dans vos abréviations inclusives ! C’est une erreur. Voici pourquoi.
Depuis quelques mois, des points envahissent les mots, venant y remplacer les signes typographiques usuels (tiret, parenthèse, etc.) dans les abréviations des mots accordés au masculin et au féminin. Beaucoup de confusion règne autour de ces points… Pour commencer, rappelons que point médian et point final sont des caractères différents, qui ne se valent pas.
Ce que l’on appelle point médian, ou point milieu, se distingue du point final, ou point bas, par sa position : au dessus de la ligne de base des caractères. Il est plus discret « · » à condition de ne pas le confondre avec la puce « • » : ne confondez plus ces différents caractères !
Mais d’où ça vient ?
Le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) a publié en 2015 un guide pratique pour une communication publique sans stéréotype de genre, récemment ré-édité en raison de son succès. Rien de bien nouveau dans les dix recommandations formulées par ce guide : c’est ce que l’on trouve dans les divers guides de ce type à travers la francophonie et cela est déjà pratiqué depuis des années, dans certains pays et par certaines instances françaises, publiques et privées, sans que l’on n’y prête plus gare.
Mais les exemples fournis (à partir des pages 26 et 59) de formes abrégées sont tout à fait surprenants. Le signe typographique recommandé pour ce faire n’est pas le tiret ou la parenthèse auxquels nous étions de-ci de-là habitué·es, mais le point. Non pas le point médian, ou milieu, mais bien le point bas, celui des fins de phrases, en témoignent les exemples donnés : « les agent.e.s territoriaux.ales » ou « du.de la fonctionnaire ». Aïe.
Pour la rentrée 2017, les éditions Hatier publient un livre scolaire qui applique ces recommandations, jusque dans les abréviations des noms de métiers, par exemple « artisan.e », rendant cette graphie soudainement visible. Et imitée. Et critiquée. Car effectivement problématique.
Le point marque la fin d’une phrase
Parmi toutes les façons de faire, avec tiret, parenthèses, etc. pourquoi est-ce la pire qui a été ici retenue ? Car loin d’être, comme le point médian, un caractère typographiquement neutre, le point bas a une signification forte : il sert à marquer les fins de phrases. Il indique au lecteur ou à la lectrice quand l’intonation doit baisser, pour finir la phrase, avant de reprendre son souffle. C’est un marqueur essentiel à la bonne compréhension, en ce qu’il délimite les phrases, ces assemblages de mots formant une unité de pensée. Faut-il rappeler que toute phrase commence par une majuscule et se termine par un point ?
Utiliser un caractère typographique si lourd de sens pour tout autre chose n’amène que confusion. Comment s’y retrouver avec des points finaux ajoutés au sein des mots ? Comment distinguer aisément entre le point utilisé comme séparateur inclusif d’un mot et de celui utilisé comme marqueur de fin de phrase ?
Plus accessible ? Pas vraiment…
L’argument principal pour justifier ce choix est… l’accessibilité : Le point a été choisi plutôt que le tiret, parce qu’il nous a été indiqué qu’il était plus accessible sur les claviers des personnes malvoyantes ou non-voyantes
nous dit la présidente de la Commission Lutte contre les stéréotypes du HCEf, dans cette vidéo (à partir de 3:47).
Il semble que le HCEfh ait été bien mal conseillé. Car d’après mes potes aveugles, le point final est le pire signe typo à utiliser dans les formes abrégées, parce que leur synthèse vocale marque une pause de fin de phrase au sein des mots, espaçant sensiblement les accords (féminin, pluriel) par un silence ou les hachant de « point » prononcés (vocalisant par exemple « informaticiens point ne point S » pour la graphie « informaticien.ne.s »), rendant l’accord incompréhensible. C’est sans doute ce qu’à voulu dénoncer la Fédération des Aveugles de France en condamnant sans discernement l’écriture inclusive, confondant vraisemblablement point médian et point bas, jetant le bébé avec l’eau du bain.
Prenons donc conseil auprès d’expert·es : d’après les tests de restitution effectués par Access42, SCOP spécialisée en accessibilité numérique, l’option la plus convaincante est le point… médian.
Le HCEfh aurait-il confondu, par méconnaissance typographique, entre les points ? Il est plus probable que le HCEfh n’ait pas bien compris ce qu’est l’accessibilité. Et qu’à défaut de trouver facilement le point médian sur les claviers informatiques, le choix fut fait de se rabattre sur le point le plus — je cite — « accessible sur les claviers », en confondant vraisemblablement ici les notions d’accessibilité et de disponibilité. Rappelons que la disponibilité d’un caractère sur nos claviers n’est pas ce qui le rend accessible aux personnes en situation de handicap, c’est-à-dire restitué de façon par elleux compréhensible.
Le point des adresses URL
Dernier argument, s’il en fallait encore : l’usage du point bas entre les lettres est caractéristique des adresses informatiques, notamment URL, où il sert à séparer les différents éléments de l’adresse, comme les noms des dossiers et fichiers qui la constituent. L’inventeur du Web, Tim Berners-Lee, aurait préféré des barres obliques, plus logiques, pour séparer les éléments d’une adresse URL, mais l’usage du point l’a emporté.
C’est ainsi que la forme abrégée « correcteur.ice », avec un point bas, est automatiquement remplacée sur twitter et ailleurs sur le Web, par le lien cliquable http://correcteur.ice
qui parasite la bonne compréhension du texte : il faut s’y reprendre à plusieurs fois pour y comprendre « correcteur ou correctrice » au lieu du lien plus immédiatement perçu.
Ces exemples de remplacements intempestifs ne manquent pas… La plupart du temps cela crée des liens absurdes qui ne mènent nulle part, mais il arrive que le féminin pluriel abrégé « .es », identique à l’extension de nom de domaine espagnol, renvoie vers des sites espagnols.
Pour éviter ça, n’utilisez pas le point bas pour les abréviations inclusives de vos messages numériques (courriels, tweets, etc.).
Préférez le point médian
Abréger les variantes féminine et masculine à l’aide de points prête le flanc à des incompréhensions majeures. S’il vous plaît, pour toutes les raisons ci-dessus, ne suivez pas docilement tous les exemples donnés dans ce guide : n’utilisez pas le point final dans vos abréviations ! Remplacez-le par un point médian (U+00B7
) si vous voulez, si vous pouvez, sinon par un bon vieux tiret, ou autre, le choix ne manque pas : « le/la vice-doyen·ne », « né(e) le », etc.
C’est aussi ce que préconise le Manuel d’écriture inclusive recommandé par le Secrétariat d’État chargé de l’Égalité entre les femmes et les hommes (page 7) : Le point milieu nous semble aussi préférable au point final, qui constitue un signe de ponctuation dont les usages, y compris sur un plan grammatical, sont très largement stabilisés.
Le guide du HCEfh devrait être mis prochainement à jour en ce sens, pour recommander l’usage du point médian plutôt que du point bas, conseil qui se sera donc apparenté à une erreur. De plus, ce caractère, difficile à trouver sur vos claviers sous Windows, sera prochainement sur le futur clavier franco-français normalisé par l’AFNOR.
Vos commentaires
1. Le 12 février 2020 à 12:35, par Romy Têtue
En réponse à : En finir avec le point final inclusif
Dans cet intéressant thread, Chrisian Volle de l’Association Valentin Haüy (AVH) précise :
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