À la suite d’une avarie importante…

Incident technique sur la ligne 9 - vendredi 27 octobre

27 octobre 2006,
par Romy Têtue

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J’entends souvent médire des transports en commun, de leurs retards, grèves et pannes, et m’en étonne. En tant qu’usagère au moins bi-quotidienne, je ne partage pas ces râleries intempestives, souvent injustes. Surtout celles de mes congénères, comme moi coincés, là, ce soir, dans le métro qui reste indéfiniment à quai…

Si j’avais quelque réclamation à faire, ce ne serait pas pour me plaindre des transports en commun, mais bien plutôt de celles et ceux qui s’en plaignent avec une mauvaise fois aussi insondable que désagréable. Car je ne n’ai eu qu’à prendre note pour saisir la tranche de vie métropolitaine que je vous livre ci-après.

« Mesdames et Messieurs, nous vous prévenons que l’attente sera de plus d’un quart d’heure, et vous invitons à emprunter les correspondances. Merci de votre compréhension. »

— Ah la la... c’est pas une vie !
• silence • soupir • silence •
— Tu parles d’un service public !

En face de moi, un monsieur plein d’embonpoint, que l’on qualifierait volontiers de jovial bon vivant, soupire et s’exclame toutes les trente secondes, rendant l’attente encore plus pénible. Il tente de prendre son voisinage à partie, semble chercher — heureusement en vain — des frères et sœurs de malheur dans l’espoir d’échanger moultes maugréances.

— Et dire que je ne prends jamais le métro...
• silence • soupir • silence •
— Faut toujours que ça tombe sur moi ces choses-là...
• silence • soupir • silence •
— Mais qu’est-ce qu’ils foutent !?

Je ne sais plus depuis combien de temps j’attends quand arrive cette dame qui s’assied confortablement sur la banquette, en face d’un homme qui ne relève pas le nez de son carnet, tandis que, gêné par sa présence, son voisin replie son journal et le jette devant lui. Elle soupire d’aise, puis tourne plusieurs fois la tête en tous sens, manifestement inquiète que le métro ne démarre pas immédiatement.

— Excusez-moi, mais ça fait longtemps que vous attendez là ?
— Euh... je ne sais pas. J’étais en train d’écrire alors je n’ai pas vu le temps passer, lui répond l’homme au carnet. Un peu moins d’une heure sans doute...
— Ah bon !? vous êtes écrivain !
— Non, non, je...

La pauvre cloche à collier de perles semble n’avoir jamais eu à se servir d’un crayon pour croire que qui en tient en a fait sa profession. Incroyable, mais vrai. La suite est du même acabit.

— Une heure !?? Mais c’est insupportable !
— Non ce n’est pas...
— Ah, je vois : vous écrivez une lettre de réclamation !
— Non je...
— Vous avez bien raison, parce que, vraiment, ils exagèrent ! Oui, vous avez raison : il ne faut pas se laisser faire ! Aaaah, si on les laissait faire il n’y aurait plus de métro ! Heureusement qu’il y a des gens comme vous qui ont du répondant !

Elle est lancée, on ne peut plus l’arrêter. Le malheureux qui a eu la gentillesse de lui répondre reste suspendu le crayon en l’air, bouche bée, tandis que d’autres, par delà les banquettes, commencent à s’agiter et à acquiescer aux propos fluviaux de celle-là qui parle plus fort, mais qui n’aura subi le désagrément à peine plus de deux minutes, puisque la voilà qui repart non sans omettre d’annoncer alentour qu’elle va passer au guichet dire tout ce qu’elle pense, persuadée de rendre ainsi service à l’humanité ici sagement assise.

« À la suite d’une avarie importante à Buzenval, le trafic est momentanément interrompu jusqu’à Mairie de Montreuil. »

Les pleurs d’un enfant en bas-âge, jusqu’alors intermittents, vont soudain crescendo en braillements, puis en hurlements. Les regards se tournent vers le quai d’en face, où la mère, qui braille aussi, saisit l’enfant par le bras pour le jeter brutalement dans la poussette, puis secoue celle-ci violemment tout en hurlant des choses incompréhensibles. L’enfant crie de plus belle, un cri si strident qu’il meurt dans un silence angoissant. La mère continue de maltraiter l’enfant qui, n’en pouvant plus de hurler, hoquette maintenant la bouche grande ouverte, le visage tordu d’horreur, sans que personne n’intervienne. Elle lui envoie une claque magistrale qui rétablit le silence. Les regards se détournent, chacun et chacune reprenant progressivement conscience de l’interminable de l’attente...

L’homme au journal craque soudain. Il n’a vraisemblablement pas entendu le message annonçant une longue attente, plongé qu’il était dans la lecture des actualités internationales (feuilles blanches) ou des des cours de la bourse (feuilles roses).

— Mais combien de temps va-t-on encore attendre comme ça !??
— ...
— Mais ils pourraient le dire, quand même !
— Sans doute ne savent-ils pas, lui répond un vieil homme tranquille qui porte des cheveux d’une blancheur éclatante.
— Bien sûr, comme d’habitude ! Quelle incompétence !
— Je pense qu’ils ne savent pas : ils doivent être en train de réparer. Ils ont dit que c’était une panne importante.
— Mais ils pourraient avoir une idée quand même !
— Oh, vous savez, s’ils ne disent pas, c’est justement qu’ils ne savent pas.
— Oui, mais moi, j’ai rendez-vous à 19h30 : je dois savoir ! Ils pourraient tout de même annoncer la durée ! C’est inadmissible !
— Ils ne cachent pas ça pour le plaisir, voyons !
— Ah zut, j’ai même pas mon portable sur moi pour prévenir !
— Les téléphones ne captent pas dans le métro.
— Mais bien sûr que si ! puisque je vois des gens avec leurs portables dans le métro. Vous n’avez jamais remarqué : toutes leurs sonneries, pfff ! ça n’arrête pas !
— Ah bon, vous êtes certain que ça capte !?

L’homme aux cheveux blancs sort un téléphone portable de la poche de sa veste, en consulte l’écran, puis le lui tend. Ce n’est qu’après l’avoir récupéré que le prêteur s’en servira pour lui-même.

— Ah, merci. Mais... je n’ai pas le numéro. Il est resté chez moi, avec le portable. Il faudrait que je ressorte pour le chercher... et repayer un ticket de métro ! Ah, franchement, ils se moquent du monde ! Une telle médiocrité de service, ça devrait être gratuit !

« À la suite d’une avarie importante à Buzenval, le trafic est momentanément interrompu jusqu’à Mairie de Montreuil. »

J’ai fini par éprouver de la sympathie pour le jeune basané à casquette qui suscite des regards désapprobateurs à force de ne pas tenir en place. Il fait des allers-retours entre le quai et son siège, passe coup de fil sur coup de fil, et a finalement échoué sur le quai, où il écoute en sourdine la musique diffusée par le haut-parleur de son téléphone portable.

Au moins ne dérange-t-il personne.

« Mesdames et Messieurs, attention au départ, le trafic va reprendre. Attention au départ ! »

Je vous prie d’excuser les clichés qui émaillent ce texte, mais force m’est de constater que les personnes les plus désagréables que j’ai jamais eu à supporter dans ce genre de situation étaient toutes de celles que l’on dit « à l’allure respectable » : des gens dans la force de l’âge, à la tenue indiquant une certaine aisance de vie ou une activité professionnelle, voire même quelque responsabilité. Bref, des adultes dont on attendrait d’eux un comportement autrement plus exemplaire.

Pour finir, permettez-moi de porter un toast en solidarité avec le personnel de la RATP et de toutes les sociétés de transports en commun du monde, qui ont bien du mérite d’avoir telle humanité à supporter.

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Vos commentaires

  • Le 30 octobre 2006 à 16:19, par Stéphane Deschamps En réponse à : À la suite d’une avarie importante... l’humanité a du être remplacée

    Entièrement en phase avec ton article...

    Les gens qui râlent ne se rendent pas compte de tous les autres trains, ceux qui sont à l’heure, et qui transportent des millions de gens... Ne se rendent pas compte que pendant qu’ils râlent au chaud les agents sont sur les voies, et leur métier ne fait absolument pas mon envie...

    Bref. On va dire que c’est humain, soupirer un peu et boire frais.

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